S’ils s’en étaient pris à la Chine, à la Russie ou aux Etats-Unis, le risque de représailles aurait été massif pour les utilisateurs du logiciel espion Pegasus, de la société israélienne NSO. En revanche, « s’ils visaient l’Europe, ils savaient que rien ne se passerait ». Le diagnostic tranchant de Frédéric Mauro, avocat et spécialiste de la défense, coauteur de Défendre l’Europe (Nuvis, 2019), est partagé par plusieurs spécialistes à Bruxelles, après les révélations du Monde et de seize médias concernant la surveillance de masse de dirigeants, d’activistes et de journalistes européens.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a réagi avec une déclaration d’usage, qualifiant les faits « d’inacceptables, s’ils sont avérés ». Au Conseil (l’institution représentant les Etats), on se partage entre fatalisme et inquiétude. Une « cellule de prospective » a été récemment chargée d’établir la carte des nouvelles menaces pesant sur l’Union. Et de ses indéniables faiblesses. « Le cyber est dans la situation du contre-terrorisme européen il y a dix ans. Or cette lutte est encore plus difficile et implique encore plus d’acteurs, alors qu’on n’identifie pas clairement qui est le pilote des opérations », relève une source au Conseil.
Première explication quant à la faiblesse de la riposte à cette intrusion majeure, impliquant en outre un pays membre, la Hongrie : l’Union européenne n’est pas, en tant que telle, une puissance militaire, et n’est donc pas respectée par des acteurs disposant, pour la cyberguerre, d’une réelle « puissance de feu ». Elle n’a pas non plus le poids des Etats-Unis pour imposer des restrictions à Israël.
La coopération, « une blague »
Autres données, assez habituelles dans le domaine de la sécurité : l’absence d’une réelle doctrine européenne dans le domaine et une grande disparité entre les Etats membres. « Les Britanniques sont les meilleurs sur ce sujet mais ils ont quitté l’Union, les Français sont bons et la DGSE notamment s’équipe massivement, l’Allemagne monte en puissance », diagnostique Frédéric Mauro. Mais chacun agit de son côté, sans unité. D’autres pays ne s’estiment pas menacés, certains se jugent incapables de faire face, d’autres encore ne jurent que par la protection que leur offriraient les Etats-Unis. Bilan, « la coopération européenne dans ce domaine est une blague », estime l’avocat.
L’intention de se défendre réellement, la capacité de décision, la capacité d’action : il manque un peu de tout aux Européens. Pas la méfiance, en revanche : elle est légendaire entre les services français et allemands, notamment. Les premiers soupçonnent les seconds de livrer à Washington tout ce qui leur viendrait de Paris. Même après les révélations, en 2015 et en 2021, qui indiquaient que la chancelière Angela Merkel avait été écoutée par la NSA.
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